En 1789, John Tanner, fils de pionnier européen alors âgé de 9 ans, est capturé dans le Kentucky par des Indiens shawnees, puis revendu à une famille ojibwa. Pendant trente ans, il partage la vie de ces derniers, prend femme parmi eux, devient un chasseur et un guerrier réputé, explore de nouveaux territoires… Son histoire, recueillie en 1830 par le scientifique Edwin James, est celle des derniers feux de la culture indienne et de la naissance de l’Amérique du Nord moderne.
« Tous les canots s’arrêtèrent, et le chef, d’une voix très haute, adressa une prière au Grand Esprit pour qu’il jetât un regard favorable sur notre traversée. Je me souviens que cette invocation du chef au Grand Esprit me parut très expressive et solennelle – les Indiens en semblaient tout émus. Exposés sur un lac immense, dans leurs fragiles canots, ils sentaient vivement leur dépendance du pouvoir qui gouverne les vents et les vagues. J’aurais pu, à chaque instant, fuir les Indiens, mais je croyais mon père massacré, avec toute ma famille, et je savais quelle vie de travail et de privations m’attendait chez les Blancs – sans amis, sans argent, sans propriété, réduit à toutes les misères d’une indigence extrême, je voyais, chez les Indiens, tous ceux que l’âge ou la faiblesse empêchait de chasser sûrs de trouver des secours – je m’élevais aussi dans leur estime, et j’étais pour eux comme un jeune homme de leur race. Je me décidai donc à rester alors avec eux – mais j’avais toujours le dessein de retourner un jour vivre parmi les Blancs ». John Tanner
« Le destin de Tanner est exemplaire dans la mesure où il nous révèle une vérité acquise dans la souffrance, celle d’un homme sorti malgré lui des sentiers battus, tiraillé entre la “civilisation” et la “wilderness”. On saura gré aujourd’hui à John Tanner et à son mentor Edwin James d’avoir préfiguré un courant réaliste sans concession, consacré aux rapports interraciaux dans l’Ouest américain ». Daniel Royot